Entretien avec Pierre Stambul, vice-président de l’Ujfp
(Union Juive Française Pour la Paix), réalisé par le quotidien
d'Oran
Que signifie pour vous la victoire de Hamas ?
Il faut d’abord souligner que le vote qui vient d’avoir lieu
en Palestine, vote massif dont le résultat n’est contesté par
personne, est un bel exemple de démocratie. C’est avant tout un
vote de protestation et de résistance.
Depuis des années, la société palestinienne est méthodiquement
étranglée et détruite : 750 barrages sont synonymes
d’humiliations permanentes et rendent la vie quotidienne
intenable. Malgré la décision de la cour internationale de La
Haye, le Mur continue d’avancer et les Palestiniens ont
clairement compris qu’il signifie à terme l’annexion de la
moitié de la Cisjordanie. 60% des Palestiniens vivent sous le
seuil de pauvreté, on pille les terres et l’eau des
Palestiniens. Les colonies ne cessent de s’agrandir. 450000 Israéliens
vivent dans les territoires conquis en 1967.
Sans indépendance, sans économie viable, sans avenir, avec
650000 personnes qui ont été à un moment ou à un autre
emprisonnées depuis le début de l’occupation et avec des
centaines de milliers de réfugiés vivant toujours dans des
camps, la société palestinienne vit en plus d’autres
contradictions : la corruption, l’opposition entre ceux qui
sont rentrés en Palestine après Oslo et le reste de la
population, le clivage entre laïques et religieux…
Dans ce contexte et alors que les sondages indiquaient l’inverse
et que le Fatah avait choisi le très populaire Marwan Barghouti
comme tête de liste, les électeurs ont clairement dit à
l’occupant : « Ca suffit. Vous voulez nous écraser
et rendre définitifs les grignotages incessants, nous ne
l’accepterons pas. »
Ils ont estimé que la volonté de dialogue avec les différents
gouvernements israéliens sous la coupe américaine ne leur avait
rien apporté.
Face à l’éclatement de leur société, ils ont dit non à la
corruption. Le vote pour le Hamas est apparu, dans l’isoloir,
comme le seul moyen de porter un coup d’arrêt à cette dégradation.
Et il est probable que le Hamas a bénéficié d’une bonne image
pour son travail d’aide sociale, sur le terrain.
Dans l’avenir, des questions restent posées. Le peuple
palestinien est « pluriel ». Le Hamas, qui n’est pas
un parti laïque, respectera-t-il cette pluralité ?
Sera-t-il capable d’obtenir la fin de l’occupation ? Il
est trop tôt pour répondre.
Certains pensent que la prise en main du
gouvernement par le Hamas est un coup d’arrêt au « processus
de paix » engagé depuis Oslo. Partagez-vous cette appréciation ?
Le « processus de paix » est mort depuis longtemps et
ce sont les différents gouvernements israéliens qui l’ont tué
avec la bénédiction américaine.
En 1988, l’OLP a décidé, à Alger, de limiter ses
revendications à 22% de la Palestine historique (les territoires
conquis par Israël en 1967) et de reconnaître l’état d’Israël
dans ses frontières de 1949 (les seules qui sont
internationalement reconnues). À l’inverse, la reconnaissance réciproque,
celle d’un peuple palestinien bénéficiant des mêmes droits
que les Israéliens, n’a jamais eu lieu.
Les accords d’Oslo auraient dû aboutir rapidement à la fin de
l’occupation, au démantèlement des colonies et à la création
d’un Etat Palestinien. Or, entre la signature de ces accords et
l’assassinat d’Itzhak Rabin, plus de 50000 nouveaux colons se
sont installés. Toutes les négociations qui ont suivi ont eu
pour but de faire accepter à l’autorité palestinienne de
reconnaître les annexions et d’accepter de limiter l’état
Palestinien à des bantoustans reliés par des tunnels.
Sur toutes les questions essentielles : Jérusalem, les
colonies, le droit au retour des réfugiés, les gouvernements
israéliens n’ont jamais bougé. Ils n’ont eu de cesse que
d’exiger que l’occupé garantisse la sécurité de
l’occupant. Le nombre des prisonniers est toujours
impressionnant (8000) ce qui signifie que, même sur ce point, les
accords d’Oslo ont été violés.
Le Hamas a bénéficié de la permanence de son discours. Il était
depuis le début hostile aux accords d’Oslo. Ceux qui
souhaitaient que ce processus débouche sur la paix n’avaient
qu’une seule chose à faire : en finir avec l’occupation
et la colonisation et ils ne l’ont pas fait.
Qualifier Ariel Sharon d’homme de paix
semble vous choquer.
L’arrivée au pouvoir en Israël de Menahem Begin puis de ses
successeurs Shamir, Nétanyahou ou Sharon, c’est un peu comme si
l’OAS avait pris le pouvoir en France pendant la guerre d’Algérie.
La droite israélienne a le même programme depuis les années
1930 : assurer ce qu’elle appelle le « transfert »,
c’est-à-dire l’expulsion des « autochtones ».
Sharon a un long passé militaire et il s’est rendu coupable de
nombreux crimes de guerre dont le plus célèbre a été
commis quand il a ouvert les camps de Sabra et Chatila aux tueurs
des Forces Libanaises. Il a volontairement déclenché la deuxième
Intifada par sa provocation sur l’esplanade des mosquées. Il
est arrivé au pouvoir avec l’idée de « terminer la
guerre de 1948 », c’est-à-dire d’expulser les
Palestiniens.
Qu’est-ce qui a changé ? Malgré la férocité de la répression,
Sharon a compris que le temps travaillait contre lui et que les
Palestiniens étaient sur le point de devenir majoritaires entre Méditerranée
et Jourdain. Il a donc changé de politique et s’est mis à prôner
des évacuations unilatérales pour pouvoir appliquer son nouveau
programme : « établir les frontières d’Israël ».
Ces frontières, grâce au Mur, engloberont la moitié de la
Cisjordanie et le Golan. Donc qualifier cet homme « d’homme
de paix » est assez indécent.
Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de
l’UNION JUIVE FRANÇAISE POUR LA PAIX ? Comment se
positionne-t-elle par rapport à la question palestinienne ?
Est-elle représentative de l’ensemble des juifs de France ?
L’UJFP a été créé en 1994 mais elle s’est réellement développée
avec la deuxième Intifada. Elle fait partie d’un réseau européen
d’associations juives progressistes qui existent dans une
dizaine de pays.
Nous n’avons pas accepté que les violations permanentes des
droits fondamentaux se fassent en notre nom.
Nous avons refusé que l’antisémitisme et le génocide Nazi
dont nos familles ont été les victimes servent à justifier un
projet colonial et la destruction de la société palestinienne.
Nous expliquons sans relâche qu’il ne faut pas confondre Juif,
Sioniste et Israélien.
Nous nous réclamons d’une histoire qui a vu les Juifs
participer massivement à des mouvements progressistes,
anticolonialistes ou révolutionnaires.
Nous refusons le repli communautaire qui voudrait nous obliger à
être complice de ce qui se passe au Moyen-Orient.
Nous contestons totalement au CRIF (« conseil représentatif
des institutions juives de France ») le droit de parler au
nom des Juifs.
Nous faisons partie des collectifs d’associations qui défendent
les droits du peuple palestinien. La présence d’une association
juive montre que ce conflit n’est pas une guerre raciale ou
religieuse, c’est une guerre sur l’égalité des droits et la
justice.
Nous soutenons activement en Israël la petite minorité qui se
bat tous les jours : les refuzniks qui refusent d’aller à
l’armée, celles et ceux qui vont sur les barrages, qui
manifestent contre le Mur …
Nous n’avons bien sûr pas la prétention d’être majoritaire
parmi les Juifs français. Le Sionisme exploite habilement la peur
d’un retour des persécutions. Mais nous représentons un
courant d’opinion non négligeable.
L’UJFP prône une paix entre Palestiniens et Israéliens basée
sur l’égalité des droits et la Justice. Elle dénonce le
caractère colonial de ce qui se passe dans les territoires occupés.
Elle revendique la reconnaissance de la « Naqba », la
libération de tous les prisonniers, le droit au retour des réfugiés.
Elle associe son combat pour une paix juste au Moyen-Orient au
« vivre ensemble » en France. Elle dénonce la
politique raciste de Sarkozy vis-à-vis des immigrés et des
sans-papiers. Elle a demandé l’abrogation de la loi sur les
« bienfaits » du colonialisme. Elle a dénoncé les déclarations
de Finkielkraut comme celles d’Arno Klarsfeld.
Comment jugez-vous les galas de soutien à
l’armée israélienne organisés annuellement par des juifs français ?
L’UJFP participe régulièrement à toutes les manifestations de
rue contre les dérives communautaristes de soutien à
l’occupation ou à l’armée israélienne. Cela vaut pour les
galas de l’ABSI (« association pour le bien-être du
soldat israélien »), pour ceux du KKL (« Keren
Kayemeth Leisraël) qui collecte des fonds pour la colonisation et
essaie de promouvoir « l’Alya » (l’émigration des
Juifs Français) ou Magav qui collecte des fonds pour la police
des frontières.
Ces galas sont immoraux, ils participent à l’effort de guerre.
Ce qui est grave, c’est que ces manifestations d’aide à
l’occupation reçoivent souvent des subventions ou une aide des
collectivités locales qu’elles soient UMP ou PS.
Tout se passe comme si l’Occident continuait de faire payer au
peuple palestinien pour un crime qu’il n’a pas commis :
l’antisémitisme européen et le génocide nazi.
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