02.12.05
On
pense parfois que la guerre menée par l’armée israélienne
contre le peuple palestinien est compliquée et sans solution. Ce
n’est pas vrai. Dans cette guerre, il y a un occupant et un occupé.
Il y a un pays (la Palestine) dont la société est méthodiquement
détruite : on abat les arbres, on confisque les terres, on détruit
les maisons par quartiers entiers, on assassine impunément,
essentiellement des civils et des enfants immédiatement qualifiés
de « terroristes », on étrangle l’économie, on boucle la
population en construisant le mur de la honte, on humilie … Le
droit international est quotidiennement violé.
Tout a commencé avec un mensonge historique : la Palestine n’était
pas « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Un peuple
vivait là et il n’est pas parti de son plein gré. Il a été
expulsé en 1948 et c’est aujourd’hui en grande partie un peuple
de réfugiés.
L’Occident a fait payer et continue de faire payer au peuple
palestinien sa propre culpabilité dans la persécution des Juifs,
l’antisémitisme et le génocide Nazi. Sauf que les Palestiniens
n’avaient rien à voir avec cette persécution.
La fin de la guerre repose sur des principes simples : la
reconnaissance de la Naqba (la catastrophe) de 1948, l’arrêt de
l’occupation, le démantèlement et l’évacuation de toutes les
colonies établies dans les territoires occupés en 1967, le droit
au retour des réfugiés. Elle repose sur des droits égaux et une
égale dignité pour les deux peuples.
Les différents gouvernements israéliens n’ont jamais renoncé à
écraser le peuple palestinien, à l’expulser au-delà du Jourdain
en réalisant ainsi le projet historique de la droite sioniste (Jabotinsky
prônait cette « solution » dès 1930) ou à le confiner dans une
espèce de bantoustan non-viable. La guerre est alimentée par la
convergence d’intérêt entre la droite chrétienne américaine
qui a porté Reagan puis Bush au pouvoir et une partie de la société
israélienne qui veut recréer le royaume légendaire décrit dans
la Bible. Ce projet de « Grand Israël » excluant et persécutant
« l’autre » est un cauchemar pour tous les peuples.
Il n’y a pas de solution militaire à cette guerre. La paix repose
sur un basculement de l’opinion publique. Et notamment de
l’opinion publique juive, en Israël et hors d’Israël. Un peu
comme le basculement de l’opinion publique française qui avait
permis la fin de la guerre d’Algérie, ou celui des Blancs d’Afrique
du Sud qui a permis la fin de l’Apartheid. Bien sûr, c’est
avant tout la résistance opiniâtre du peuple palestinien, son
refus de capituler, d’accepter l’occupation et l’expulsion qui
déclanchera ce basculement. Mais l’opposition juive à la guerre
a un rôle à jouer.
En Israël et en Europe, des Juifs se sont organisés. Ils ne
supportent plus ce qui est fait « en leur nom » par une armée
d’occupation. Ils ne supportent plus l’utilisation de l’antisémitisme
ou du génocide Nazi pour justifier la destruction de la société
palestinienne. Et ils pensent qu’ils ont un rôle spécifique à
jouer pour faire basculer l’opinion, pour expliquer que cette
guerre n’est ni ethnique, ni communautaire mais que l’enjeu
fondamental, c’est la Justice et l’Egalité des Droits.
L’opposition en Israël
Le pays subit à présent les conséquences de la guerre. Il vit une
grave crise à la fois politique, économique et morale. La pauvreté
et le chômage se développent. Israël était censé « apporter la
sécurité » aux Juifs. Nulle part au monde, ils ne sont autant en
insécurité. Le nombre d’Israéliens vivant à l’étranger est
passé, depuis la deuxième Intifada, de 500000 à 800000.
L’opposition à l’occupation est diverse. Même si elle est
minoritaire, elle concerne à présent diverses catégories de la
population. Il y a ceux (les plus nombreux) qui pensent que
l’occupation salit la société, la déshonore et est immorale.
Pour les plus radicaux, c’est tout le projet « d’Etat juif »
qui est à remettre en cause. Il n’y a plus de consensus en Israël
et il existe une majorité hostile aux colons.
L’opposition la plus dangereuse pour Sharon, c’est celle des
soldats. Il existe actuellement 1400 refuzniks dont nombre de
femmes. Le mouvement le plus ancien (Yesh Gvul) a été fondé en
1982 lors de l’invasion du Liban. Il vient en aide au niveau
financier et judiciaire aux objecteurs. Les condamnations pour refus
de servir dans les territoires occupés sont de 28 jours
reconductibles. Yesh Gvul organise des veilles devant les prisons
militaires. Les objecteurs les plus politiques (comme Yonathan Ben
Artzi) ont été très lourdement condamnés (un ou deux ans de
prison). Plus récemment, « Seruv » (le courage de refuser)
s’est créé en publiant un appel de 400 militaires dans le
journal Ha’aretz. Seruv regroupe des réservistes de toutes les
branches de l’armée y compris les pilotes. Ils viennent de faire
une exposition photographique sur l’occupation à Hébron pour
informer la population de ce qu’elle refuse de voir.
Il y a parmi les pacifistes radicaux des groupes et des personnalités
politiques divers : Michel Warschawski, Goush Shalom (=le bloc de la
paix) dont un des fondateurs, Uri Avnéry a rencontré Arafat dans
les années 70, quand c’était considéré comme un crime, les
journalistes Gidéon Lévy et Amira Hass (fille de déportés, elle
vit dans les territoires occupés). Il y a les « nouveaux
historiens » comme Ilan Pappé qui a réécrit la véritable
histoire de la Naqba et qu’on a voulu chasser de l’université.
Il y a des groupes à la fois Palestiniens et Israéliens comme
Ta’Ayoush (= vivre ensemble) qui manifeste sur les barrages et
contre le mur ou comme « l’association des familles endeuillées
» (où milite Nourit Peled dont la fille est morte dans un
attentat). Ses militant(e)s refusent la vengeance et exigent
ensemble la fin de l’occupation.
Tous ces groupes, toutes ces personnalités sont minoritaires,
insultés, considérés comme « traîtres ». Ils vivent très mal
la dérive de la société israélienne et les crimes qui se
multiplient. Mais c’est à partir de leur action que le
basculement de l’opinion se fera.
La « gauche » travailliste qui est complice de la plupart des
exactions contre le peuple palestinien (dont la construction du Mur,
initiée par le ministre Ben Eliezer) est en crise et elle devra à
terme se rallier à une vraie paix, basée sur l’égalité et la
justice.
L’Europe : un enjeu
Pour faire basculer l’opinion, les Juifs de la diaspora ont aussi
un rôle à jouer. Il faut d’abord savoir que la majorité des
Juifs vivent hors d’Israël et n’ont aucune intention d’y émigrer,
malgré toutes les tentatives des différents gouvernements israéliens
pour les y inciter.
En France, il y a près de 700000 Juifs. Toutes les institutions
communautaires sont sionistes et soutiennent inconditionnellement
Israël, même quand son armée se livre aux pires exactions. Mais
ces institutions (comme le CRIF) ne représentent qu’une minorité
de Juifs. Du coup, le CRIF s’en prend violemment à ceux qui
contestent sa prétention à parler au nom des Juifs.
Il existe une tradition des Juifs de la diaspora. Depuis la sortie
du ghetto, nombre d’entre eux se sont intégrés. Ils ont adhéré
à des idées laïques, universalistes. Ils ont participé à de
nombreuses luttes pour l’égalité des droits.
L’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) s’est créée en
1994 mais elle s’est réellement développée depuis la deuxième
Intifada. Elle a près de 400 adhérents (dont une soixantaine en région
PACA). Elle fait partie d’un réseau de 18 associations européennes
de Juifs pour la Paix.
Pour nous, il a été très difficile au départ de militer dans une
association où figure le mot « Juif » puisque nous sommes
clairement laïques et opposés à tout communautarisme. Nous
l’avons pour plusieurs raisons.
D’abord avec l’idée « pas en notre nom » puisque tout est
fait pour mélanger sciemment « Juif », « Sioniste » et « Israélien
». Il s’agit pour nous d’une manipulation et d’une perversion
de l’histoire et des identités juives. Nous militons pour les
droits du peuple palestinien « parce que Juifs » et pas « bien
que Juifs ». Nous avons conscience d’être les héritiers de
courants progressistes ou révolutionnaires.
Le sionisme est une idéologie qu’il est parfaitement légitime de
dénoncer. Parce que les plus âgés d’entre nous ont connu la
barbarie Nazi ou que beaucoup sont les héritiers de cette histoire
(je suis fils de déporté résistant), nous ne supportons pas
l’instrumentalisation de l’antisémitisme pour justifier
l’injustifiable. Nous refusons l’idée folle que tout Juif doit
soutenir Israël, quelles que soient les exactions de son armée.
Nous nous insurgeons quand on parle de « colonies Juives » en
Cisjordanie ou à Gaza. Il s’agit de colonies israéliennes et ces
colons ont plutôt des valeurs communes avec les barbares qui ont
persécuté les Juifs, à commencer par la négation de l’autre.
À l’UJFP, nous pensons aussi que nous avons un rôle à jouer
avec celles et ceux qui soutiennent le peuple palestinien. En
montrant que cette guerre n’est pas ethnique. En montrant qu’on
peut être Juif et condamner sans faiblesse l’occupation et les
colonies. En empêchant aussi toute dérive qui mélangerait Juif et
Sioniste.
Nous participons aux actions des collectifs Palestine. À chaque
manifestation, à chaque réunion publique, des gens nous découvrent
et nous rejoignent parce que les valeurs que nous représentons ne
sont pas si minoritaires.
Je me félicite de parler aujourd’hui avec Ashraf, un camarade
palestinien et avec Sandrine qui est partie en mission en Palestine.
C’est notre rôle et nous serons toujours à leurs côtés
jusqu’à la fin de cette guerre.
Pierre Stambul
(vice-président de l’Ujfp)
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