L’Union Juive Française pour la Paix existe depuis 1994. Au début,
c’était une association tout à fait confidentielle. Et puis, en
septembre 2000, Sharon fait une gigantesque provocation sur
l’esplanade des mosquées. La deuxième Intifada commence. Comme
d’autres, nous sommes révolté(e)s en voyant l’armée israélienne
tirer sur un peuple désarmé, détruire systématiquement la société
palestinienne, boucler les territoires, humilier quotidiennement la
population civile, assassiner impunément et sans jugement… À
cette révolte largement partagée par d’autres, s’ajoute autre
chose. Nous sommes Juives/Juifs ou proches du judaïsme. Ces violations honteuses et criminelles de tous les droits se font en
notre nom. Elles récupèrent l’antisémitisme, le génocide
nazi et la « martyrologie juive » pour justifier la négation
et l’ethnocide d’un peuple et pour promouvoir un projet
colonial.
Dans
les premières réunions, nous avons fait une espèce
d’introspection : pourquoi étions-nous là ? Pourquoi
avions-nous fait une espèce « d’outing » en venant
dans une association où figure la lettre J alors que nous sommes
quasiment tou(te)s athées et en tout cas laïques et farouchement
opposé(e)s au communautarisme. Il y a plusieurs réponses.
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La principale, c’est « pas en notre nom ». Juif,
Sioniste et Israélien, ce sont des réalités totalement
distinctes. Le Sionisme essaie de dire aujourd’hui qu’il
n’y a qu’une seule voie : le soutien inconditionnel à un
état juif ou l’émigration vers Israël. Nous sommes à l’UJFP
non sionistes et pour la plupart d’entre nous clairement
antisionistes. L’Etat Juif, où les Non-juifs sont des
sous-citoyens et qui détruit un autre peuple, insulte notre mémoire
du judaïsme. Nous nous réclamons des lumières juives, de la
sortie du ghetto, de la lutte opiniâtre pour l’égalité des
droits contre l’antisémitisme, de la participation massive des
Juifs aux mouvements progressistes, anticolonialistes et révolutionnaires,
du Bund, de la MOI, de l’internationalisme. Nous
refusons le repli communautariste et le rôle de complice qu’on
nous assigne. Nous refusons l’instrumentalisation de l’antisémitisme.
Le CRIF qui est une officine sioniste ne nous représente en rien.
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L’UJFP fait partie des collectifs d’associations qui soutiennent
la résistance du peuple palestinien. Nous avons constaté
l’impact de la présence de l’UJFP dans les manifestations. La
guerre au Proche-Orient n’est ni une guerre religieuse, ni une
guerre nationale, ni une guerre ethnique. C’est
une guerre qui porte sur l’égalité des droits et la justice.
De fait, l’existence d’une « composante juive » dans
le mouvement pour la Palestine est aussi une garantie contre toute dérive.
Les Palestiniens l’ont fort bien compris. Leïla Shahid, dans ses
réunions publiques intervient systématiquement avec des Juifs
progressistes. Des deux côtés, le message universaliste est le même :
pour l’égalité des droits et contre le colonialisme.
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Il existe en Israël une
petite minorité qui a franchi le pas, qui milite
quotidiennement avec « l’autre », le Palestinien, qui
va sur les barrages, qui manifeste contre le Mur de l’Apartheid,
qui essaie d’empêcher les confiscations de terre ou les
destructions de maisons, qui recherche la mémoire des anciens
villages palestiniens détruits lors de l’expulsion du peuple
palestinien (1948), qui refuse de servir dans l’armée (les
refuzniks) y compris au prix de la perte de la liberté, qui crée
les liens de la solidarité. Si la paix un jour devient possible, ce
sera grâce à eux. L’UJFP est en contact permanent avec ces
militant(e)s et popularise leurs actions. En même temps, elle fait
partie d’un réseau de 18 associations juives progressistes de 10
pays d’Europe.
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Enfin, c’est moins important mais pas négligeable. On s’adresse
à l’UJFP comme « experts ». Nous
sommes en mesure de démonter de l’intérieur le rouleau
compresseur de la propagande sioniste et l’instrumentalisation de
l’antisémitisme. C’est tout le sens de « l’autre
voie juive » que nous voulons promouvoir. Bien sûr, nous
sommes « petits ». Quelques centaines en tout dont une
cinquantaine dans la région marseillaise. Mais nous avons
conscience de représenter le malaise ou le refus d’un grand
nombre de gens révoltés comme nous par cette guerre.
Quelle
est la position de l’UJFP sur la situation actuelle au
Proche-Orient ?
Le Sionisme et l’Etat d’Israël se sont
construits sur des mensonges fondateurs. La Palestine n’était pas
« une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Un
peuple autochtone était là et il a été expulsé par la violence
lors de la « Naqba » (la
catastrophe) en 1948. L’Occident s’est débarrassé de sa
responsabilité dans l’antisémitisme et le génocide nazi en
faisant payer un peuple qui n’avait commis aucune faute, aucun
crime. Le projet sioniste s’est longtemps masqué derrière l’idée
du « havre de paix » pour les Juifs. Il
est totalement clair aujourd’hui que c’est un projet
colonialiste, qui vise à acquérir un maximum de terres en
expulsant les Palestiniens ou en les cantonnant dans des bantoustans
non-viables sans terre, sans eau et sans unité territoriale. Un
projet qui s’accompagne de l’idée démente de faire venir tous
les Juifs en Israël, mettant ainsi en danger des siècles de lutte
pour la laïcité et la citoyenneté.
L’UJFP
prône une paix entre
Palestiniens et Israéliens fondée sur l’égalité des droits et
la justice. Cela passe par la reconnaissance de la Naqba, par le
droit au retour des réfugiés palestiniens (nous laissons aux négociateurs
le soin d’élaborer comment ce droit se traduira), la libération
de tous les prisonniers (650000 Palestiniens ont connu la prison en
38 ans d’occupation), le retrait de l’armée israélienne de
tous les territoires occupés en 1967 (y compris bien sûr Jérusalem-Est),
le démantèlement de toutes les colonies et un partage équitable
des ressources de la région. Quelle forme prendra cette paix ?
Le droit international ne reconnaît pas les annexions israéliennes
de 1967. Et l’OLP, depuis 1988, a limité sa revendication à un
état palestinien sur 22% de la Palestine historique avec Jérusalem-Est
comme capital. C’est le refus obstiné des différents
gouvernements israéliens qui empêche la paix. Ils veulent tout
garder : Jérusalem, les blocs de colonies, Hébron …Il y a
aujourd’hui 450000 Israéliens dans les territoires occupés. Même
Rabin, entre la signature des accords d’Oslo et son assassinat en
avait installé 50000 nouveaux. Cette situation explique que l’idée
(qui fut longtemps celle de l’OLP) d’un seul état en Palestine,
laïque et démocratique dont tous les citoyens, quelle que soit
leur origine auraient les mêmes droits, reprend vigueur. Qu’il y
ait à l’avenir deux états ou un seul, il faudra en finir avec la
notion d’Etat Juif et lui substituer la même citoyenneté pour
tou(te)s.
Quel
avenir pour la région et quel combat en France ?
Il y a hélas peu de raisons d’être
optimiste. Sharon est l’héritier idéologique de Jabotinski qui
dans les années 30 était un admirateur de Mussolini et prônait (déjà)
le « transfert » des Palestiniens au-delà du Jourdain.
Depuis des années, les différents gouvernements israéliens procèdent
par grignotage et par fait accompli. Sharon parle aujourd’hui de
« fixer les frontières définitives » d’Israël. Ces
frontières, on les connaît, c’est le Mur dont le tracé annexe
la moitié de la Cisjordanie et transforme le futur « état
palestinien » en cantons isolés reliés par des tunnels.
Sharon
se prend pour De Gaulle. Il a scissionné le parti qu’il avait
fondé (le Likoud) et isolé les plus fous du courant « national
religieux », ceux qui, au nom d’une interprétation littérale
de la Bible veulent le « Grand Israël » de la Méditerranée
au Jourdain, voire du Nil à l’Euphrate. Il bénéficie de
l’appui inconditionnel de l’impérialisme américain et du
financement sans limites de différents lobbys (en particulier celui
des Chrétiens Sionistes, des fondamentalistes religieux pour qui
les Arabes incarnent le Mal). Il
bénéficie aussi de l’impunité
et de la lâcheté de la « communauté internationale »
qui laisse faire.
L’Union Européenne a financé le port et l’aéroport de Gaza et
n’a rien dit quand Israël les a détruits. Elle a élaboré un
rapport sur la purification ethnique en cours à Jérusalem et
refuse de le publier. Elle laisse rentrer sur le marché européen,
avec des droits de douane limités, des produits israéliens souvent
fabriqués en territoires occupés. Des entreprises européennes
comme Alstom et la Connex (de sinistre mémoire à Marseille) construisent un tramway
entre Jérusalem et des colonies.
En face de Sharon, la
« gauche traditionnelle » israélienne est assez
pitoyable. Shimon Pérès termine sa triste trajectoire
politique en se ralliant à Sharon. Alors que la société israélienne
subit (sous les coups de l’ultralibéralisme) des mutations
profondes très bien décrites dans les films d’Amos Gitaï, la
gauche travailliste qui a trempé dans tous les mauvais coups contre
les Palestiniens, n’a pas d’alternative. Certes, Amir Peretz est
un ancien syndicaliste qui parle de la question sociale et propose
de reprendre les négociations. Mais il ne propose pas un retour aux
frontières d’avant 67, ce sera donc la prolongation de la guerre.
La société palestinienne résiste
difficilement à l’étranglement économique et aux actes de
guerre incessants.
L’Autorité Palestinienne est très contestée à cause de la
corruption et du fait qu’elle n’a rien obtenu de tangible. Ce
discrédit profite au Hamas.
Cette
situation assez dramatique nous impose une solidarité active en
Europe. L’UJFP lie son
action contre l’occupation de la Palestine au nécessaire « vivre
ensemble » ici, en France. Elle a vivement protesté
contre le gouvernement Villepin-Sarkozy qui, à coup de
discrimination, de « racaille » et de « kärcher »,
a provoqué l’explosion des cités. Il
est symptomatique que ce gouvernement ait reçu l’appui, dans sa
politique raciste, de défenseurs inconditionnels de la politique
israélienne : Alain Finkielkraut qui parle de pogrom antirépublicain
fomenté par des Islamistes et Arno Klarsfeld qui approuve la
loi sur les aspects « positifs » du colonialisme.
L’UJFP a dénoncé à leur propos l’instrumentalisation de
l’antisémitisme pour justifier les discriminations
d’aujourd’hui.
La
Palestine et les pacifistes israéliens ont besoin de nous. Il faut
rejoindre les comités Palestine. Il faut faire pression pour que l’occupation de la Palestine soit
sanctionnée par un boycott, un arrêt de tout investissement et
des sanctions contre Israël. Il faut interpeller sans relâche ceux
qui soutiennent la politique israélienne ou qui « laissent
faire » comme on
l’a fait autrefois pour l’Afrique du Sud.
Pierre Stambul (vice-président
de l’Ujfp)
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