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Palestine - Solidarité

 

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Visite des camps de réfugiés palestiniens,
Rencontre avec Najdeh

Monique Ladesou - Janvier 2006

Najdeh est une association libanaise créée en 1978. Elle couvre 2 grandes activités : le travail des femmes dans le cadre de l’entreprise Al Badia et la gestion de centres de formation et d’action sociale.

L’association France Palestine Solidarité Nord Pas de Calais soutient les activités de Najdeh en relayant les ventes de broderies et en montant un projet de soutien au camp de Borj El Brajneh à Beyrouth, financé dans le cadre du programme régional SISA[1] par la Région, la Délégation Régionale aux Droits des Femmes et à l’Egalité et la Ville de Lille.

Ma visite, en janvier 2006 de 6 camps (dont Borj El Brajneh) et les rencontres  avec les coordinatrices, des enseignants et des stagiaires des différents programmes de l’association (programmes sociaux, d’éducation et de formation ou contre les violences domestiques) m’ont permis de mesurer les difficultés particulières auxquelles les réfugiés doivent faire face, la justesse de notre soutien et les suites possibles de notre partenariat. Mais il ne s’agit bien sûr pas d’une évaluation.

Je remercie Leila et Raïda pour leur accueil et disponibilité, ainsi que Wissel, Rajda, Fatme, Kadija, Majida, Hadieh, Myriam, Hohad, Madija, Taha, Amneh, Rana,  Hana, Fathieh et tous les enfants et jeunes qui m’ont reçue et donné de leur temps.

I – Conditions de vie dans les camps 

220 000 Palestiniens vivent dans 12 camps dont la population se chiffre entre 1 500 pour les plus petits à 45 000 dans le plus grand (Saïda).  50% de la population a moins de 20 ans. Le camp de Borj El Brajneh  compte, lui, environ 20 000 habitants. Mais dans tous les cas il y a surpopulation et absence d’infrastructures urbaines : pas de conseil municipal encore moins de services municipaux comme la voirie ou la police municipale. L’UNRWA[2] gère l’état civil, l’éducation élémentaire et la santé (jusqu’à 60 ans) mais à l’intérieur des camps, l’autorité est représentée par les partis rassemblés en comités populaires qui régulent la collectivité.

L’habitat est insalubre, pour cause de configuration (des zones entières ne reçoivent jamais la lumière du jour), l’humidité est aggravée par le manque d’entretien des conduits et un système d’écoulement des eaux usées désuet. Tous les locaux visités offrent le même spectacle : murs lépreux et plafonds en décomposition, les efforts des locataires qui repeignent tous les ans ne suffisent pas. Bien sûr les problèmes de santé liés à ces conditions de vie sont nombreux : carences des enfants en vitamines (on leur distribue un lait vitaminé pour compenser),  infections respiratoires et allergies. Des problèmes spécifiques se posent  au camp de Nahr El Bared (Tripoli) : le choléra en été  causé par  la pollution de l’eau, problèmes rénaux dus aux mêmes causes,  la thalassémie[3] très mal détectée et donc mal soignée et des cancers (du sein en particulier) en plus grand nombre.

L’éducation des enfants est une préoccupation majeure des familles. La scolarité est prise en charge par l’UNRWA pour l’instruction élémentaire et secondaire générale, mais les efforts des familles et des ONG sont importants. Une étude récente menée dans le camp de Nahr El Bared montre que 29% des élèves de primaire bénéficient de cours complémentaires privés payés par les familles et cela quels que soient leurs revenus. Par ailleurs l’illettrisme ne  représente que 5,6% de la population contre 11,8 % dans la population Libanaise. Les études supérieures et professionnelles sont principalement à la charge des familles avec l’aide d’ONG. De même l’école maternelle est à la charge des familles et des ONG, pourtant  80% des enfants de 3 à 5 ans sont scolarisés. 

L’emploi est le principal problème rencontré.  On estime les sans emplois à environ 40 % de la population des camps. Les femmes sont les plus touchées. (Rappelons que la loi libanaise interdit environ 70 professions aux Palestiniens). Le commerce et la réparation automobile occupent  une bonne part de l’activité visible des camps, la plupart des rez-de-chaussée ont été aménagés en commerce, et certains marchés qui attirent des Libanais pour leur prix compétitifs peuvent même assurer à quelques  commerçants des revenus corrects. Mais il reste qu’un nombre important de familles n’ont pas de revenus réguliers et près de la moitié des foyers ont des revenus inférieurs à  350 000 LL (192 €) mensuels. Et cela malgré un niveau d’étude élevé.

Le paradoxe des camps palestiniens du Liban  tient en effet à ce que la population qui survit essentiellement grâce aux aides extérieures est une population éduquée et même qualifiée, qui se voit contrainte à l’aide humanitaire par choix politique de la communauté internationale. Et si l’on ajoute le coût d’une éducation « inexploitée » aux coûts de soutien humanitaire supportés par cette même communauté, on est interpellé par l’aberration économique de la situation, sans parler du  traumatisme humain. C’est une jeune licenciée en droit qui ici fait du soutien scolaire, une  autre,  conseillère familiale de l’association et qui travaille à temps partiel est elle, diplômée en sociologie et psychologie. L’une comme l’autre sont  sans aucune illusion quant à un emploi dans la société libanaise, elles savent que leur exclusion du marché du travail libanais n’est pas passagère. En attendant elles accomplissent un travail remarquable, de qualité. Elles sont aussi très militantes.

Les problèmes sociaux existent même s’ils ne sont pas apparents : pas de dégradation d’immeubles  ni d’  « incivilité » comme on pourrait s’y attendre. Mais des difficultés financières pour un nombre de familles en particulier chez les  femmes isolées. La violence domestique est aussi une réalité et toucherait, d’après une étude menée auprès de mères et d’enfants d’écoles  maternelles gérées par Najdeh, près de 30% des mères et  68 % des enfants.

En l’absence de juridiction (quelle loi s’applique dans les camps ?) et d’institutions civiles comme un commissariat, ce sont les comités populaires qui traitent en première instance les questions comme une demande de divorce et peuvent les renvoyer à une instance libanaise. Mais c’est toujours la recherche de solutions pragmatiques et pédagogiques qui est privilégiée.

II – Le rôle de Najdeh

L’objectif principal de Najdeh est  l’émancipation des femmes.

- Les broderies et Al Badia : L’association a d’abord cherché à pallier l’absence d’opportunités de travail sur le marché libanais en organisant le travail artisanal des femmes, confection d’accessoires et vêtements brodés selon  la tradition artisanale palestinienne. Ces articles sont commercialisés dans un réseau associatif dont les associations française Afran Saurel et AFPS[4]. Une société, Al Badia,  a été créée pour développer cette activité, c’est  aujourd’hui une entreprise de 160 brodeuses, 6 couturières et 3 cadres.

Najdeh  a ensuite construit autour de cette activité centrale des gardes d’enfants avant de  développer des programmes plus complexes de soutien aux femmes dans le but de les aider à se former et accéder à l’autonomie par le travail, dans les conditions économiques que l’on connaît. L’association a acquis une notoriété dans le milieu des ONG des camps, a contribué à des études visant à améliorer toujours leurs programmes et assure maintenant dans le domaine du programme contre les violences domestiques des formations de formateurs pour d’autres ONG. Elle touche aujourd’hui à travers ses différents programmes 10 000 réfugiés dans l’ensemble des camps.

- Formation professionnelle : La formation professionnelle n’est pas assurée par l’UNRWA et est financée par les familles ou les ONG. Les secteurs d’activité couverts par les centres de formation de Najdeh sont choisis pour les possibilités restreintes de travail qu’ils offrent sur le marché libanais. Ainsi dans tous les camps on retrouve les mêmes formations : Informatique (initiation et compléments informatiques pour les autres formations), comptabilité, coiffure, électricité, photographie et montage vidéo. Dans le camp de Tripoli, et parce que le Nord du Liban offre quelques opportunités dans les usines textiles, Najdeh assure un cours de coupe et couture.

Les formations professionnelles mais non diplômantes sont reconnues et par exemple les stagiaires des sections de coiffure peuvent à la suite de la formation au centre intégrer une formation qualifiante dans un centre de formation libanais qui reconnaît les compétences acquises.

Les bénéficiaires sont orientées après un questionnaire détaillé sur leurs projets et attentes, des comités de stagiaires sont constitués qui participent à l’évaluation des programmes et accueillent les nouveaux stagiaires.

Le centre de Nahr El Bared à Tripoli a pu grâce à un projet européen financer une plate forme informatique qui permet aux participants de communiquer avec d’autres palestiniens. Un site a été créé, des forums de discussion, des sections de travail thématiques sur 6 thèmes : histoire, institution, culture, social, démocratie, actualités. C’est un incontestable atout pour ce camp même s’il faut avoir constamment en tête que les connexions sont souvent improbables : les coupures d’électricité et interruptions du réseau sont fréquentes mais pas propres aux camps, les réseaux téléphoniques au Liban sont en effet particulièrement défectueux partout.

Autres programmes :

- Mère et Enfant : l’association accueille 500 enfants d’âge maternelle et les prépare à accéder aux écoles de l’UNRWA. Une initiation à l’anglais est assurée en parallèle avec la découverte de la lecture et écriture arabes. Des activités éducatives et de loisir sont proposées pendant les périodes de vacances, avec l’aide de volontaires internationaux (association canadienne CIPAL,). Le programme aborde aussi avec les mères les questions de droit, de santé (voir programme DV). Najdeh est engagée dans un grand projet de sensibilisation des jeunes enfants à la non violence, comprenant la promotion de jouets non violents (campagne « Toys Without Violence »), la sensibilisation des parents au rôle de la télévision qui renvoie en permanence une représentation violente du conflit Israëlo Palestinien, et les modèles de « Martyrs » qui fascinent les enfants. Les femmes de Najdeh mobilisent une énergie considérable pour contrer les effets dévastateurs de la situation des réfugiés sur la psychologie des jeunes, en essayant par divers moyens, mais surtout l’éducation, de leur donner malgré tout des perspectives d’avenir et de paix.

- Social : suivi des familles et des enfants quittant l’école, recherche de financements pour payer les écoles privées, par le réseau d’amis libanais et les fonds apportés par les ONG.

- Violences domestiques : dans chaque centre Najdeh, on est accueilli par une affiche rappelant le programme de sensibilisation aux droits et à la lutte contre les violences domestiques. C’est à partir des familles de jeunes enfants que les conseillères et enseignantes ont bâti un dispositif aujourd’hui développé en dehors de l’association puisque Najdeh maintenant forme les personnels de 25 associations du réseau des ONG. La démarche n’est pas facile pour les femmes qui ont tendance à garder pour elles les difficultés. Pour la plupart des problèmes posés la recherche de solution se fait dans la famille. A partir de ces contacts individuels et quelques fois seulement les mères, des ateliers sont proposés aux familles (mari inclus). Des groupes communautaires sont créés localement. Parallèlement à ce travail de suivi et de proximité, des évènements ou manifestations de plus grande envergure sont mis en place, comme la campagne pour des jeux non violents, une journée annuelle est organisée pour sensibiliser aux violences faites aux enfants avec exposition, théâtre, ateliers.

- Aide au micro crédit : l’objet de ce programme est de soutenir et d’encourager les initiatives de création d’entreprise en procurant aux porteuses de projets des prêts et en les guidant dans le montage du projet.

III – Les difficultés rencontrées, besoins et perspectives

Les fonds de l’UNRWA sont en baisse constante depuis les accords d’OSLO (1993). Les ONG laïques comme Najdeh sont également et en conséquence de plus en plus  mises en concurrence avec des structures fondamentalistes qui ne partagent pas les mêmes valeurs sociales ni le même projet éducatif et qui représentent un réel danger pour les femmes tout particulièrement.

Les locaux des centres sont vétustes. Il manque de place partout. Dans tous  les centres  l’accueil des femmes dans le cadre du programme de lutte contre les violences est assuré dans le bureau de la coordinatrice locale, qui sert en même temps de secrétariat et de bureau de direction. C’est un lieu de passage pour le personnel et les bénéficiaires, ce qui donne peu d’intimité pour les échanges entre la conseillère et les femmes accueillies. Il n‘existe aucun lieu d’accueil pour héberger momentanément les femmes devant quitter leur domicile. Il faudrait louer un logement spécial, ce qui représente un coût mais ne semble pas irréaliste.

L’équipement des sections professionnelles est lui aussi extrêmement vétuste. A Borj El Brajneh, le local réservé aux formation d’électricité mesure environ 9 m² et est équipé de circuits électriques simples cloués à même le mur dans un cadre en bois. Il est fort douteux que ce local puisse accueillir plus de 5 ou 6 stagiaires à la fois. La section coiffure n’est pas beaucoup mieux lotie bien que d’une superficie un peu plus adéquate. La salle informatique manque d’ordinateurs et l’association loue « en ville » quelques heures d’un  local de type cybercafé pour permettre aux jeunes de s’exercer et surtout à des groupes de jeunes filles pour qui l’accès à ces lieux  est quasiment impossible sans la « protection » du formateur. Il faut ajouter que l’informatique et la communication électronique représentent beaucoup plus que le  simple accès à une technologie moderne : c’est pour une population confinée à un ghetto une fenêtre sur le monde, des possibilités multipliées d’accès à la formation et aussi des possibilités de développer une activité commerciale par le net.

Le local de Borj El Brajneh est loué et l’association va sans doute être obligée de déménager car le propriétaire veut récupérer son bien. L’hypothèse de l’achat d’un immeuble dans le camp est à l’étude. L’immobilier dans les camps est à un prix bien inférieur au prix de l’immobilier au Liban et cette hypothèse ne semble pas irréaliste. Najdeh étudie la question. Le choix d’une acquisition permettrait d’investir dans des locaux mieux adaptés (plus grands, mais dans les contraintes des logements du camp), et de garantir un bien meilleur entretien.

Sur le plan éducatif, les dirigeants de Najdeh aimeraient développer des activités de théâtre pour les jeunes. Un tel programme s’inscrirait dans la logique éducative à la non violence des plus petits. Le camp de Saïda offre la possibilité de locaux. Les enseignantes sont des partenaires précieuses sur qui s’appuyer. Une aide à la professionnalisation d’animateurs- théâtre trouve toute sa pertinence dans le contexte  et avec la garantie de sérieux du partenaire Najdeh.

Enfin, Najdeh s’engage aujourd’hui dans une grande campagne pour « le droit au travail » au Liban, que nous relayerons dans la mesure de nos moyens.

Pour conclure, de ce voyage je retiendrai l’immense ténacité et l’intelligence de ces femmes, qui mobilisent une farouche énergie pour empêcher les plus jeunes de sombrer dans  le désespoir total, qui trouvent  les ressources pour faire de leurs enfants des adultes confiants dans l’avenir malgré l’injustice qui leur est faite, le mépris des autorités libanaises à leur égard et l’oubli dans lequel la communauté internationale serait tentée de les abandonner.

 

[1] SISA : Solidaire Ici, Solidaire Ailleurs

[2] United Nations Relief and Work Agency, créée en 1949 par l’ONU pour les réfugiés palestiniens du Moyen Orient

[3] Maladie génétique du sang rencontrée principalement dans le bassin méditerranéen

 

[4] Aran Saurel ; Association Française de Soutien aux Réfugiés du Liban

   AFPS : Association France Palestine Solidarité

 

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